So chefs : dossier spécial, l'art de la torréfaction artisanale.
Dans un bol, avec du lait, en terrasse ou au bar, chacun le consomme à sa manière. C'est qu'il a la cote. Mais pas n'importe quel café. Celui de torréfacteurs, ces professionnels amoureux du petit noir de plus en plus nombreux en France. Une nouvelle culture qui arrive des pays du nord de l'Europe, ainsi que de l'Australie et des Etats-Unis. Rencontre avec les Gavanier, torréfacteurs à l'Isle Jourdain.
Un bon café
"Le café, çà se ressent". C'est Emilie Gavanier qui le dit. Elle gère avec son mari, Etienne, la brûlerie Di-Costanzo. A vrai dire, les deux anciens ingénieurs agricoles n'y connaissaient pas grand chose en petit noir il y a encore quelques années. La trentaine fringante, ils apprennent finalement sur le tas après le rachat de la brûlerie en 2007. Ils se passionnent un peu par hasard pour cette profession mais, très vite, cherchent avant tout à développer des produits de qualité avec une grande saveur.
"Evidemment, çà dépend surtout du goût et des préférences de chacun. Mais on peut quand même définit quelques critères". Emilie nous explique : "un bon café doit être aromatique et équilibré avec une acidité maîtrisée". Etienne confirme. "L'acidité permet de révéler la palette aromatique, qui est très large. Un grain peut contenir plus de 800 molécules aromatiques. Il doit avoir une belle longueur en bouche et une vraie finesse. Voire même une certaine fraîcheur, selon son origine". Mais alors pourquoi les cafés servis dans la plupart des bars sont si amers ? "Plus il est torréfié, plus il développe de l'amertume. Quand vous avez un café de piètre qualité, vous avez intérêt à pousser la torréfaction pour masquer ses défauts", reprend-il "Les industriels ont tiré la qualité vers le bas, en ne cherchant qu'à proposer un petit prix". Mais c'est probablement aussi l'héritage de la tradition de commerce entre la France et ses colonies, où était produit essentiellement du Robusta, plus productif, moins aromatique et plus amer que l'Arabica. Pour mieux comprendre les rouages de ce juteux marché, il faut envisager toute la filière.
Arabica ou Robusta
La qualité du café dépend évidemment de la manière dont il va être produit. Mais aussi de sa variété. Nous connaissons tous ces deux appellations. Pourtant, nous ne savons pas toujours lequel choisir. Doux, fruité, amer, corsé, puissant. Comment s'y retrouver ? Le Robusta vient d'un caféier nécessitant un climat chaud et humide pour se développer. C'est une espèce robuste, dont la culture résistante aux maladies produit de grands rendements. Il représente 25 % de la production mondiale et 35 % de la consommation. "Il s'agit de la variété utilisée pour le célèbre expresso italien", explique Etienne. Il se distingue des Arabica par une forte teneur en caféine et par la présence d'huile dans ses grains. Cette dernière libère les arômes et offre donc une tasse au corps puissant, au goût corsé et amer. Elle est aussi à l'origine de la mousse; caractéristique d'un véritable expresso. Il exige un climat tempéré et beaucoup de soins. Si les Arabica sont considérés comme les plus fins et plus goûteux, ils ne sont pas, de fait, meilleurs que les Robusta.
Sur une échelle de 100 points
Pour faire un bon café, la récolte, le tri, le séchage doivent être soignés. Il faut que le grain provienne d'une culture parfaite et qu'il n'ait pas, ou peu, de défauts une fois séché. Un travail soigneux pour que les arômes puissent s'exprimer au moment de la torréfaction. Les cafés vendus par les torréfacteurs artisanaux ont généralement obtenu entre 80 et 90 points sur l'échelle de notation internationale de la Specialty Coffee Association of America (SCAA), qui va jusqu'à 100. " Au-dessus de 80 points, il n'y a aucun défaut majeur, il est dit de spécialité", explique Emilie. "Au-dessous, certains grains ont sur-fermenté, d'autres sont cassés ou ont été abîmés dans le transport, le sac contient des corps étrangers. Cela génère des arômes déviants. Les bons cafés recueillent plus de 84 points". Un bon indicateur, quand on sait que les marques de grande distribution achètent, la plupart du temps, des cafés dits standards, inférieurs à 80 points.
Une torréfaction soignée
C'est l'étape clé qui met en valeur les qualités distinctives et uniques d'un café. Tout l'art consiste à trouver le parfait équilibre entre corps, arôme et acidité. Cela demande de l'expérience pour obtenir une qualité optimale, régulière et unique. La méthode artisanale, appelée aussi lente, garantit une puissance aromatique. Elle permet de conserver tous les arômes inhérents au terroir. A l'inverse, la torréfaction "flash", utilisée dans les processus industriels, est souvent trop forte et crame complètement la graine, lui donnant ce fameux goût de brûlé et cet aspect souvent huileux. "Les cafés sont tellement cramés chez certains industriels que cela tue les arômes", déclare Emilie. S'il n'est pas toujours simple de savoir ce que l'on achète, une chose est sûre, "un bon café doit être frais"? Etienne souligne que "plus il est fraîchement torréfié, plus on sent les arômes"? Selon nos deux professionnels, il doit être consommé entre 2 jours et 2 semaines après la torréfaction, en fonction de la préparation choisie. Au-delà, les arômes se meurent.
Le goût du terroir
Le café est produit dans 80 pays de la zone intertropicale. Difficile d'affirmer que la production d'un pays est meilleure que celle d'un autre. Le terroir est primordial, car il donne sa complexité et sa singularité au café. Il offre un cachet particulier à une même espèce botanique, d'où la différence de crus. Ainsi, un Arabica Bourbon sera acidulé au Kenya, corsé en Papouasie, doux et suave en Colombie. Mais le nom du pays peut-il réellement nous éclairer sur les qualités organoleptiques ? Un café avec une origine "pays" plutôt qu'un "blend" - un mélange de variétés - est-il forcément bon ? Pas sûr. Les blends permettent aux marques de proposer des produits constants. "Ce qui compte, c'est la qualité de l'assemblage, qui doit aboutir à un certain équilibre gustatif dans la tasse", précise Etienne. Seule l'association terroir-variété botanique est éclairante. Malheureusement, il faut être expert pour savoir la décoder. Et on ne peut pas se fier à la mention "grand cru" car elle n'a pas de définition réglementaire.
Une nouvelle consommation
Le palais des Français a été formé, ou plutôt déformé, par l'action des grands groupes de l'agroalimentaire. Mais les choses évoluent. Les torréfacteurs artisanaux réinvestissent les quartiers, des coffee shops fleurissent dans les grandes villes, les brûleries sont citées aux cartes des restaurants. Les Cafés Di-Costanzo, qui torréfient plus de 120 tonnes de café par an, fournissent des tables étoilées comme celle de Bernard Bach à Pujaudran, et contribuent à cette nouvelle mouvance. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Ils sont entre 400 et 450 aujourd'hui à se fournir à la brûlerie gersoise, contre 200 à leur arrivée. "La dégustation en est la meilleure démonstration. Au départ, les clients ont certains a priori mais sont ensuite stupéfaits lorsqu'on leur explique la différence. Il faut avoir dégusté un même café torréfié de différentes façons pour en mesurer l'importance". Et c'et vrai. Nos deux torréfacteurs nous ont proposé de goûter. L'expérience fut assez ludique.
Magazine So' Chefs 21/06/2019